SURRÉALISME ET CINÉMA

SURRÉALISME ET CINÉMA
SURRÉALISME ET CINÉMA

SURRÉALISME & CINÉMA

Le cinéma à proprement parler surréaliste peut paraître à première vue mince, voire pauvre. Il n’en est rien: le surréalisme a imprégné quantité de films. Les surréalistes, ceux qui firent partie du groupe et qui signèrent les textes importants de l’entre-deux-guerres, se méfièrent du cinéma, retrouvant dans les seuls films populaires (par exemple Fantomas ), burlesques (par exemple ceux des Marx Brothers) ou fantastiques (Peter Ibbetson ) la sincérité et la haine de la fabrication commerciale qui doivent définir toute expression libre et à plus forte raison surréaliste. André Breton le premier, tant de fois excédé par les produits vantés des marchands et des critiques, a toujours professé une très grande réserve à l’égard du cinéma.

Avant même que le Premier Manifeste surréaliste ne soit publié, le futurisme et le dadaïsme s’étaient aussi exprimés par le cinéma. Dès 1914, le grand maître du futurisme, F. T. Marinetti, entreprit avec Valentine de Saint-Point la réalisation d’un film qui devait exprimer toutes les tendances de son mouvement. Le projet fut interrompu par la guerre, mais en 1916 Marinetti publia le Manifeste du cinéma futuriste . La même année, le metteur en scène de théâtre A. G. Bragaglia tourna Charme pervers (Perfido Incanto ), film futuriste avoué dans lequel Lyda Borelli évolue avec grâce dans des décors impressionnistes: chaises déformées et murs constellés d’yeux immenses. De l’esprit futuriste se réclament également certains films soviétiques dont le plus intéressant est l’anticipation constructiviste de Protozanov: Aélita (1924), curieux voyage dans la planète Mars, et certains scénarios de V. Maïakowski (La Demoiselle et le voyou , 1918; Enchaînée par le film , 1919; les Trois , 1928).

Plus importantes sont les manifestations cinématographiques du mouvement dadaïste. Le cinéma n’est-il pas le meilleur moyen de démontrer la valeur de l’assertion de Tristan Tzara: «Tout ce qu’on regarde est faux»? Contre le cinéma «littéraire», «théâtral», «psychologique», et même «expérimental», le dadaïsme lança sur les écrans un humour destructeur qui ne ménagea rien. En Allemagne, Hans Richter, qui avait déjà réalisé en tant que peintre des films «musicalistes» et «géométriques», fit des documentaires sociaux où se mêlent les idées dadaïstes (Inflation , 1927; Rennsymphonie , 1928), de très courts métrages publicitaires, et des films absurdes, délicieux comme Zweigroschenzauber (1929) et surtout Wormittagsspuck (1928). Après la guerre, Richter, installé aux États-Unis, réalisa avec des amis peintres (Marcel Duchamp, Max Ernst, Man Ray) des films comme Dreams That Money Can Buy (1944) où le dadaïsme, le surréalisme, et les plus récents mouvements picturaux se mêlent souvent avec succès. René Clair et Francis Picabia réussirent en 1924 une charmante pochade dadaïste, Entr’acte , qui devait être projetée, accompagnée d’une musique d’Erik Satie, pendant le ballet Relâche . Ce film, écrivait Picabia, traduisait «les rêves et les événements non matérialisés qui se passent dans notre cerveau; pourquoi raconter ce que tout le monde voit ou peut voir un jour? [...] Entr’acte ne respecte rien, si ce n’est le désir d’éclater de rire.» Le «jeu» entrait dans le cinéma.

Deux hommes font la jonction cinématographique entre le dadaïsme et le surréalisme: Man Ray et Marcel Duchamp. Le premier film de Man Ray, déjà photographe célèbre, Le Retour à la raison (1923), a été non pas tourné mais «impressionné» en parsemant la pellicule vierge d’épingles et de divers objets usuels tels que boutons ou allumettes. La salutaire destruction du spectacle cinématographique faisait un vide; une nouvelle expression pouvait naître. Les autres films de Man Ray, Emak-Bakia (1927), Les Mystères du château du Dé (1929) et surtout L’Étoile de mer (1929) sur un poème de Robert Desnos, sont des expressions de l’humour de cet Américain qui n’a jamais cessé de «provoquer», tout en gardant un sens de la poésie surréaliste. Man Ray a toujours voulu détruire «les habitudes monstrueuses excusées par l’étiquette et l’esthétisme». Marcel Duchamp a laissé un chef-d’œuvre d’anticinéma Anemic Cinema (1926). Il s’agit des célèbres «rotoreliefs» en mouvement et des «spères», sur lesquelles on peut lire des phrases telles que: «Rose Selavy et moi nous esquivons les ecchymoses des Esquimaux aux mots exquis.» Des images réalistes viennent à la fin, faisant de ce film un véritable ready-made .

Plusieurs membres du groupe surréaliste, outre Buñuel, Antonin Artaud, J. B. Brunius, Jean Ferry, Albert Valentin, Roland Tual, sont des hommes de cinéma; Desnos, Georges Huguet, Philippe Soupault et Dalí collaborèrent à des films intéressants, et Breton, Péret, Aragon eurent des projets cinématographiques non réalisés. Il ne faut pas oublier les frères Prévert (avec surtout L’affaire est dans le sac , 1932) ainsi que Max Ernst, Nicolas Calas, Tanguy, qui collaborèrent aux films américains de Hans Richter.

L’œuvre cinématographique d’Artaud est plus importante qu’on ne le pense. En tant qu’acteur, il a illuminé plus d’un film qui, sans lui, serait médiocre, et ses scénarios recèlent des trésors qu’une récente édition complète a révélés. Mais La Coquille et le clergyman , son seul scénario tourné en 1927, fut saccagé par Germaine Dulac, la réalisatrice, qui traita en rêve ce qui, pour Artaud, était du «cinéma visuel où la psychologie même est dévorée par les actes...», des «images issues uniquement d’elles-mêmes et qui ne tirent pas leur sens de la situation où elles se développent, mais d’une sorte de nécessité intérieure et puissante qui les projette dans la lumière d’une évidence sans recours». Artaud écrivit aussi en 1923: «J’aime n’importe quel genre de film. Mais tous les genres de films sont encore à créer.»

Quant à Philippe Soupault qui écrivit des critiques de films populaires et de très beaux Poèmes cinématographiques , il écrit: «Du cinéma ils firent le miroir incolore et l’écho muet du théâtre.» Personne encore n’a fait cesser ce malentendu.

J. B. Brunius est le seul surréaliste qui se soit occupé systématiquement de la théorie cinématographique. Il collabora activement à la réalisation de L’Âge d’or , de L’affaire est dans le sac et de La Partie de campagne et réalisa lui-même plusieurs courts métrages où il mit en pratique ses idées sur le montage et sur les rapports entre le réel et l’imaginaire.

Seul Luis Buñuel avec Un chien andalou (1928), L’Âge d’or , (1930) et Terre sans pain (Las Hurdes , 1932) réalisa pendant la grande époque du surréalisme des films qui relevaient totalement de l’esprit du groupe: révolte, liberté de la pensée, destruction des idées communément acceptées. Dans les films qu’il réalisa ensuite, au Mexique ou en Europe, Buñuel maria cet esprit à ses fantasmes et à ses obsessions personnelles.

Il faut redire que le cinéma surréaliste ne peut en aucune manière se limiter à ceux qui firent partie du groupe. L’esprit surréaliste, ou des composantes de cet esprit, se trouvent dans plusieurs films, surtout commerciaux et populaires, dans des films de rêve, de révolte, d’amour ou d’humour. L’anéantissement de la logique traditionnelle se fait aussi bien dans les films de Méliès que dans ceux de Robbe-Grillet. On ne doit pourtant pas croire, comme en sont persuadés certains critiques, qu’est surréaliste tout ce qui est abstrait, abscons, mystique ou incompréhensible. Le style «vitrine de grand couturier», le style «orientalisme chrétien», le style «intellectuel torturé et desséché» sont aux antipodes du surréalisme. Celui-ci se cache plutôt dans des films populaires de terreur ou dans des feuilletons de télévision (qu’on pense notamment à l’admirable Prisonnier ou au délicieux Mystères de l’Ouest ).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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